Depuis la crise du COVID, les actifs français ont modifié leur rapport au travail. Recours au télétravail, interrogations sur l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, modification des rapports entre employeurs et candidats… Ces éléments témoignent d’une transformation profonde en cours.
Dans ce contexte, la notion d’un « travail qui a du sens » ou de « sens au travail » est de plus en plus plébiscitée. Des études et sondages récents indiquent que la quête de sens inciterait plus de quatre actifs sur dix à quitter leur travail dans les deux ans (Sondage Opinion way pour l’Anact – juin 2022)
Comment comprendre ce que recouvre cette notion de sens ? La polysémie du mot laisse envisager trois directions selon Estelle Morin, psychologue, enseignante et chercheuse canadienne : le sens peut être interprété comme signification, orientation et cohérence.
« La signification concernerait la manière dont nous nous représentons le travail et la valeur que nous lui attribuons. Le sens, comme orientation, traduirait ce que nous recherchons à travers le travail. Enfin, le sens compris comme cohérence, indiquerait le résultat d’une harmonisation entre raison d’être intime et activité professionnelle. »
D’après le sondage Opinion way pour l’Anact, les actifs français considèrent qu’un travail qui a du sens obéit à trois critères : son utilité pour la société, sa cohérence éthique et sa contribution au développement personnel.
Nous pouvons constater que ces trois points recoupent la proposition d’Estelle Morin en rendant compte de nos représentations d’un travail qui a du sens (utilité à la société), de ce que nous recherchons à travers un travail (contribution au développement personnel) et de ce que nous désirons comme alignement entre notre raison d’être, notre profession, et le monde qui nous entoure (cohérence éthique).
Ces différentes perspectives indiquent que plusieurs acteurs et facteurs entrent en jeu dans le projet de « donner du sens ». En effet, il revient au professionnel de prendre conscience de cet axe intérieur ou des valeurs qui l’habitent afin d’en favoriser la cohérence avec son contexte de travail. Il revient également aux organisations d’être des « porteuses de sens », c’est-à-dire de veiller à l’harmonisation entre leur raison d’être, les décisions stratégiques et leur mise en œuvre opérationnelle. Enfin, la culture de la société dans laquelle les travailleurs sont inscrits, confère également un sens, une valorisation ou au contraire une invisibilité à tel type de métier ou d’activité.
Si l’on en croit les études récentes, les métiers à forte valeur humaine devraient donc être particulièrement recherchés. En effet, parfois qualifiés de « vocation », de « métier-passion » voire de « sacerdoce », ce type de professions est caractérisé par le lien entre activité professionnelle, engagement personnel et cause philanthropique. Ces professions sont porteuses de valeurs fortes, satisfaisant à la fois le besoin d’être utile et la conscience de participer à un projet fondamental pour l’homme, la société et la planète.
Et pourtant, force est de constater que les métiers au service de l’autre et de la société sont en crise : Éducation, justice, santé, accompagnement médico-social etc. Beaucoup de ceux qui ont décidé d’y consacrer leur activité professionnelle désertent aujourd’hui les « champs de bataille », usés, déçus et parfois désormais cyniques. Par ailleurs, les formations peinent à recruter ceux qui seront les professionnels de demain, et il s’agit de repenser structurellement bon nombre d’organisations privées et publiques.
Comment comprendre ce qui peut apparaître comme un paradoxe ? Si certains pointent du doigt les conséquences d’une société toujours plus individualiste, il y a pourtant d’autres facteurs qui, à la fois éclairent les causes, et dans le même temps indiquent déjà des pistes de travail pour « réenchanter » ces métiers.
On constate une amplification de la souffrance au travail lorsque celui-ci est par nature associé au soin, au développement de l’homme et de la société et que les conditions même de l’activité conduisent à vivre au quotidien l’inverse exact de ce pour quoi les professionnels se sont engagés. Les exemples sont nombreux dans l’actualité et les témoignages : les horaires de travail des soignants, le rythme des aides à domicile, la pénurie de professionnels dans l’éducation et la justice… contraignent les personnes et les équipes à effectuer leurs tâches dans l’urgence avec des risques importants de négligence ou de maltraitance passive. Les managers de proximité souffrent de la double injonction de prendre soin de leurs équipes tout en devant honorer des contraintes socio-économiques toujours plus exigeantes.
Les facteurs identifiés comme le manque de reconnaissance, de faibles rémunérations, la dépréciation des métiers de l’humain, sont autant de dissonances qui brisent l’aspiration à l’harmonie, à la cohérence, au sens.
La temporalité de la crise est souvent celle de l’urgence et du court terme. Pourtant, il y a cette autre urgence de prendre le temps de revenir aux fondamentaux, de les interroger et d’y puiser de nouvelles manières d’être et de faire. Il en va de la vie même de l’organisation.
Il nous semble que la notion de cohérence est un véritable fil d’Ariane pour, peu à peu, retrouver le sens qui doit irriguer professionnels et organisations. Quelle est la raison d’être de la structure ? Quelles sont ses valeurs ? Comment celles-ci sont-elles déclinées dans l’opérationnel ? Le management reflète-t-il ces valeurs ? Ce diagnostic indispensable est un préalable afin de poser des choix susceptibles d’engendrer une nouvelle dynamique et des changements de fond.
Il s’agit ici de faire le pari de l’incarnation, c’est-à-dire d’oser croire que la raison d’être, l’idéal philanthropique, les valeurs choisies, peuvent réellement être vécues dans toutes les dimensions de l’organisation.
Ces types de réflexion et de positionnement sont rarement possibles à mener uniquement en interne. En effet, il y a le poids de l’histoire, les conflits de loyauté, et la difficulté de prendre de la distance face à des modes de fonctionnements devenus habituels. C’est la raison pour laquelle il est préconisé d’avoir recours au « tiers nécessaire », une structure extérieure qui peut aider à la transformation en étant à la fois impliquée et « de passage », afin d’interroger en toute neutralité les acteurs de l’organisation et de l’accompagner dans le processus d’une transition.
Le recours au coaching est de plus en plus plébiscité pour soutenir les transformations des organisations, et il nous semble que c’est une approche à la fois humble, souple et efficace, particulièrement pertinente pour accompagner les secteurs qui ont comme raison d’être, le soin, l’accompagnement et le développement humain. Au regard des enjeux et de la complexité des crises en cours, il ne s’agit pas de préconiser le coaching comme une unique solution mais plutôt comme une réponse possible pour aider les organisations des métiers de l’humain à prendre soin de leurs collaborateurs et soutenir leur performance dans la durée. Il s’agit encore ici de cohérence puisque cette approche privilégie le primat de la relation humaine et porte en elle cette conviction de la capacité des hommes, des équipes et des organisations à vivre une transformation pour plus de sens.
Nous souhaitons conclure par une définition de ce qui est appelé le « Care », (le soin), et peut s’appliquer aux « métiers de l’humain ». En effet, la profondeur philosophique de cette approche est à la fois porteuse de sens et d’une cohérence qui englobe la sphère professionnelle et la dépasse. C’est celle que nous avons choisi de développer chez Camille Gancel Conseil pour accompagner les métiers du Care. Ce concept peut être défini comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre “monde”, en sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe, en soutien à la vie« . (Fisher et Tronto)